Discours de Michèle Duvivier Pierre Louis
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Michèle Duvivier Pierre Louis inaugure les nuits amérindiennes, Fokal, 6 mai 2015 (© Josue Azor)
En mon nom personnel et au nom de FOKAL, je souhaite la bienvenue à tous les artistes, hommes et femmes du Grand Nord, de ces Premières Nations qui sont venues célébrer avec nous Les nuits amérindiennes. Quand il s’agit d’art et de culture, les nuits s’éclairent pour nous laisser pénétrer dans les arcanes de la création littéraire et artistique. Et découvrir, échanger, rencontrer, créer, mais aussi danser et chanter.
Je salue aussi la présence de Yanick Lahens et de notre sœur Joséphine Bacon, les deux co-présidentes de l’événement, et bien-sûr de Rodney Saint-Eloi et de son équipe. Merci de nous avoir amenés ceux et celles qui font pour la plupart leurs premiers pas sur la terre d’Haïti.
Si du point de vue géographique notre rencontre pourrait être comprise sous l’angle d’un dialogue nord-sud, il n’en est pas de même du point de vue de l’histoire. En fait, malgré la distance, nos histoires se croisent, s’entrecroisent, et chacun de nous, sur nos territoires respectifs, en terres froides ou en terres chaudes, a fait l’expérience de la rencontre avec l’autre.
Et c’est cette rencontre avec l’autre, dans sa complexité, ses difficultés, ses espoirs aussi, qui tisse entre nous des liens de proximité, de complicité, de connivence. Parce que nos premières nations à nous étaient comme vous sur leur territoire, avec leurs coutumes, leurs dieux et leurs rituels, lorsque débarqua l’autre avec ses bateaux, ses chevaux, ses armes, sa religion, et surtout, surtout son sentiment de supériorité.
Si, pour certains, au commencement était le verbe, en ce qui nous concerne, au commencement était le malentendu. Profond, débordant sur toutes sortes de viols et de violences. Qu’on se rappelle la grande controverse de Valladolid qui opposa Las Casas à Gines de Sepulveda justement sur l’idée de l’infériorité des Indiens. Si nous n’en sommes plus là, nous n’en sommes pourtant pas sortis. Car il y eut par la suite le grand transbordement venu d’Afrique, et le « trauma originel » dont parle Glissant.
La question de l’autre, de l’altérité radicale, demeure encore aujourd’hui l’une des problématiques dominantes les plus actuelles de notre monde moderne.
Alors, pour nous arracher à ces pesanteurs historiques, il y a heureusement la littérature. Et pour paraphraser Danièle Sallenave qui a écrit des textes magnifiques sur « le don des morts », il y a dans la littérature quelque chose de vital, d’urgent, de nécessaire. « Nul ne lirait de livres, nul n’en écrirait s’il n’était animé de cette double certitude, en apparence contradictoire : que la littérature l’arrache au monde ; que la littérature lui assure une prise sur le monde… Lire écarte la vie ordinaire, son cercle triste et ses préoccupations menues et dévorantes ; lire vous arrache à vous même, et au monde. »
C’est la raison pour laquelle, je me lance avec audace dans la lecture en langue innue, d’un beau poème de Joséphine Bacon:
APU NANITAM NTSHISSENITAMAN
ANITE EUTUTEIAN
MUK PEUAMUIANI
NUITAMAKUN
E INNUIAN KIE EKA NITA
TSHE NAKATIKUIANDans mon sommeil,
Je ne me souviens pas toujours
d’ou je viens
mes rêves me rappellent
qui je suis
Jamais mes origines
ne me quitteront.Que Les nuits amérindiennes soient l’occasion de belles rencontres sous les étoiles de l’art et de la littérature.
Michèle Duvivier Pierre-Louis
Les nuits amérindiennes en Haïti
Mercredi 6 mai 2015, FOKAL
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