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Chérir Port-au-Prince

  • Valérie Marin La Meslée

    J’étais imbibée de littérature haïtienne quand je suis arrivée sur l’île la première fois. À Port-au-Prince, j’ai observé, appris, senti, vécu. J’écris ici en passeuse impliquée pour ceux qui n’imaginent pas les richesses de cette ville, et peut-être aussi pour ce que nous (Occidentaux, pour résumer) avons oublié en termes d’humanité. 

    Valérie Marin La Meslée

    Ce livre foisonnant et passionnant associe scènes de vie, rencontres et parcours de créateurs. La quête de repères dans une ville meurtrie par le séisme : un passage saisissant au «Club des Jeunes du monde» via Gary Victor; l’atelier d’écriture de Lyonel Trouillot; un échange sur la condition homosexuelle dans la capitale avec le vidéaste Maksaens Denis; un portrait de la grande dame de la danse haïtienne, Viviane Gauthier, 97 ans; une visite chez l’homme-cri Frankétienne; des conversations avec les sculpteurs de la Grand-Rue; la poésie chantée, de Georges Castera à James Noël, par Wooly Saint Louis Jean; le théâtre courant les rues; la vie du livre avec Emmelie Prophète.

    Dans Chérir Port-au-Prince, Valérie Marin La Meslée partage la vision d’un monde où la beauté a, comme partout, droit de cité, salue le courage, la dignité des Haïtiens, et leur art de s’élever au-dessus du bourbier quotidien par la création.

    Née à Paris, Valérie Marin La Meslée est journaliste littéraire à l’hebdomadaire Le Point. Depuis 2001, elle s’intéresse à la création afro-caribéenne, en publiant Novembre à Bamako, avec les photos de Christine Fleurent (2010) et Haïti parmi les vivants, avec Lyonel Trouillot (2010). Elle est aussi l’auteure de Confidences de gargouille, avec Béatrix Beck (1998), et Stupeur dans la civilisation, avec Jean-Pierre Winter (2002).


    Chronique     208 pages     29,95$      978-2-89712-384-0     Février 2016


    Ce que la presse en dit : 

    « En prenant le lecteur par la main, Valérie Marin La Meslée livre un reportage amoureux, accompagné d’un cahier de photos, fait de rencontres, de souvenirs, d’évocations littéraires ou historiques, de paysages. » Thierry Clermont, Le Figaro

    « Extrêmement vivant, fourmillant d’histoires, Chérir Port-au-Prince est la déclaration d’amour d’une « promeneuse éclairée »». Raphaëlle Leyris, Le Monde des livres

    « Dans Chérir Port-au-Prince, Valérie Marin La Meslée donne corps à la vitalité créatrice de l’île caraïbe» Claude Arnaud, Le Point

    « Ce livre est une mine. […] Le savoir-faire de Valérie Marin La Meslée réside dans ces paroles captées sur le vif.» Muriel Steinmetz, l’Humanité

    Lire un extrait : 

    Ton nom de Port-au-Prince

    Ils disent que la ville était quelque chose de beau. C’était une ville comme les autres du monde. Où accostaient les navires les plus célèbres. Une ville que le monde entier n’ignorait pas. Que l’on ne faisait pas semblant d’ignorer! Mais ils n’ont rien noté de cette époque-là. Basta! C’est fini tout ça. Maintenant il faut tout noter. Vivement, notons, pour ne pas commettre la même erreur d’autrefois. D’oublier ce temps que nous vivons.

    Guy Régis Jr, Le Trophée des capitaux

    J’ai lu Haïti avant de la connaître. Ses écrivains m’avaient offert ce pays dans leurs romans, leurs poèmes et tout au long de fécondes rencontres. Les Possédés de la pleine lune de Jean-Claude Fignolé (1987) furent à la fois ma première lecture haïtienne et ma première critique littéraire. J’avais oublié cette entrée en matière quand mon désir et mon métier me ramenèrent en littérature haïtienne vingt ans plus tard, pour me conduire enfin en Haïti, en juin 2007. Je découvris l’île par le nord, la ville du Cap-Haïtien, non loin de Vertières, où l’armée dite «indigène» avait terrassé le 18 novembre 1803 celle de Bonaparte, ouvrant la voie de son indépendance à Saint-Domingue l’année suivante. Les rencontres culturelles Caraïbes en création se tenaient dans l’imposante citadelle La Ferrière bâtie par le roi Christophe (Henri Ier, 1811-1820), aux salles habillées de blanc pour l’occasion. J’en redescendais comme j’y étais montée, à dos d’âne, et, après une halte romantique au palais Sans-Souci (autre folie d’Henri Christophe) dans la commune de Milot, repris le bus et la route bordée de maisonnettes colorées, la boulangerie La Belle Lurette, la boutique Les Deux Bons Amis, jusqu’au Cap. De là, un petit avion trouant les nuages me ramena à la capitale.

    Port-au-Prince.

    D’où te vient ce si beau nom? J’entends ton historien, Georges Corvington, un jour de pluie, m’en donner l’origine, certes plus majestueuse que ta dénomination antérieure de « baie du Cul-de-Sac de Léogâne», dominée par la montagne dite L’Hôpital (Morne L’Hôpital aujourd’hui). Il était une fois, me contait l’auteur du monumental Port-au-Prince au cours des ans, un bateau français qui, en 1706, alors qu’il était poursuivi par des attaquants anglais, trouva refuge en cette baie splendide. Le navire se nommait Prince. Le com- mandant français, M. de Saint-André, si heureux d’avoir échappé à l’ennemi, baptisa ce havre le port «du» Prince, devenu au fil du temps Port-au-Prince, et en créole Pòtoprens.

    Ton nom par tant d’écrivains magnifié, réinventé, Omabarigore (Davertige), Vilasaq (Frankétienne), Port-Loto (Dominique Batraville), Port-aux-Crasses (Louis-Philippe Dalembert), Dieu- bonville (Verly Dabel)… Les noms de tes quartiers, Bizoton, Babiole, Bourdon ou Jalousie rivalisent de créativité… Si l’on estimait la valeur du mètre carré à ta poésie onomastique, qui l’emporterait? Bas Peu de Choses, Bois Patate ou Carrefour-Feuilles ? Ton quartier de Canapé Vert a donné son nom à un roman de Philippe Thoby-Marcellin (1944). L’Impasse Dignité, titre de celui d’Emmelie Prophète, est un petit bout de toi, déjà littérature. Et que dire de ton Bicentenaire, tout à la fois lieu célébrant la date charnière de ton histoire et titre du livre de Lyonel Trouillot ?

    J’étais imbibée de littérature haïtienne quand je suis arrivée sur cette île. À Port-au-Prince, j’ai comme tout re-connu. Fascinant et illusoire début. Au gré des séjours, j’ai observé, appris, senti, vécu des choses anpil et qui se sont empilées. J’écris avec l’envie de témoigner, personnellement, de ce qui n’est pas toujours visible à l’œil médiatique, et qui n’appartiendra pas, non plus, au cortège de rencontres considérables entre Haïti et des étrangers nommés Césaire, Breton, Carpentier, Malraux, Drot, Greene et, plus récemment, Sean Penn, Gisèle Pineau ou Laurent Gaudé! Journaliste de métier, j’écris ici à titre personnel, en passeuse impliquée, en promeneuse éclairée pour ceux qui n’imaginent pas les richesses de cette ville, non seulement ignorées, mais injus- tement insoupçonnées. Pour ses hauts et ses bas si souvent arpentés. La trépidation sonore de ses rues où chacun cherche sa survie, la patience qu’exige l’énorme difficulté de tout. Le sourire qui va avec. Le confort aveugle de ses nantis, ses zones de calme absolu à l’exception des chiens hurlant la nuit qui sont le lot commun, la puissance suractive de l’imaginaire contrant la dureté du réel. Le verbe triomphant, jusqu’à l’affabulation, la créativité à tout coin de rue au beau milieu du dénuement et de l’ordure, d’où sortent, oui, un roman intitulé Les Latrines (Makenzy Orcel), un récital au w-c (Dominique Batraville) et des vers pour les marchandes pissant dehors à l’abri de leur jupe. «Ici on se bouscule même pour chier », note Syto Cavé cité en exergue des Poèmes à double tranchant de James Noël.

    J’écris, honneur et respect, pour son histoire littéraire et culturelle méconnue, pour ses jeunes buvant les paroles d’un conférencier, en m’accrochant pour rester moi-même au milieu des clans d’un petit milieu féroce et passionné ! J’écris pour les cafés où l’on empoigne les idées, les bars et les galeries où « la parole se fait chanson », les murs où la poésie s’affiche en toutes lettres, l’extraordinaire au quotidien, de gré ou de force. («Vivons l’extraordinaire», slogan d’une campagne de publicité de l’opérateur téléphonique Digicel!)

    Pour les blessures béantes. Et cependant la beauté. La beauté jaune et bleue de Port-au-Prince. Peut-être encore pour ce que nous (Occidentaux, pour résumer) avons oublié en terme d’humanité. J’écris pour saluer le courage des gens, leur dignité et cet art de s’élever au-dessus du bourbier quotidien en ayant recours à une pléiade de petits et grands dieux dont celui de la création me touche le plus directement.

    Chérir une ville

    Au petit matin du 13 janvier 2010, je travaillais hors connexion à Paris lorsque les appels téléphoniques se sont succédé sur mon por- table réouvert. Étais-je saine et sauve? Chacun me pensait en route pour le festival Étonnants voyageurs qui devait s’ouvrir à Port-au- Prince le 14 et qui, bien sûr, n’eut pas lieu. La terre haïtienne avait tremblé l’après-midi du 12 janvier. Séisme de magnitude 7,3. Plus de 220 000 morts. J’ai mesuré à quel point, comme le dit la chanson «Haïti chérie», je chérissais Port-au-Prince, «mon» Port-au-Prince. Je reparcourais mentalement la ville de nuit comme de jour, inter- rogeant mes vivants qui peut-être n’étaient déjà plus. Et demandais aux écrivains haïtiens de nous donner des mots pour pallier le silence ahurissant des pouvoirs publics. J’aurais presque arrêté mon livre sur Bamako – où j’étais en partance – pour commencer tout de suite celui que j’avais déjà en tête sur la capitale haïtienne.

    Le voici. D’avant et d’après le séisme, puisque je suis revenue à Port-au-Prince à de nombreuses reprises pour la presse écrite (Le Magazine littéraire, Le Point), la radio (France Culture), à l’invi- tation du festival Étonnants voyageurs, de l’Institut français, de la Bibliothèque Georges-Castera du Limbé et de la Direction nationale du livre d’Haïti. Le voici, paraissant avant le nouveau visage que la ville prendra, quand la reconstruction ne sera plus un vain mot. Chronique pleine d’interruptions et de reprises, il associe des scènes données, des moments, retrace certains parcours dans la durée. Il ne s’agit ni d’une enquête, ni d’un reportage, ni d’un essai critique, ni d’un annuaire des talents du cru, plutôt d’une pérégrination où je vais à la rencontre de certains de ceux qui se battent pour faire exister la beauté. Je ne prétends pas connaître Haïti et sa capitale au-delà des quelques fenêtres qui se sont ouvertes à moi par et autour du métier. Il y a tout ce que j’en ignore, et puis ce que j’ai pu en apprendre qui constitue ma jeune mémoire port-au-princienne. Elle s’étend sur sept années (2007-2014), entretenue de retrouvailles avec les Haïtiens à Paris ou ailleurs et, dès avant, de la fréquentation des œuvres. Ce regard au tamis du temps et des lectures est donc à la fois partiel et subjectif.

    «Être cultivé aujourd’hui, c’est porter en soi, à sa mort, des mondes plus nombreux que ceux de sa naissance, […] c’est être tissé, métissé par la culture des autres », écrit Jacques Lacarrière.

    (fin de l’extrait).

    Autres publications chez Mémoire d’encrier : 

    Sur Frantz Fanon


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