Willems Édouard, mon ami poète assassiné
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« Et bientôt les vivants n’auront plus où dormir… »
Mon ami Nono (Delano Morel) m’écrit ce midi pour m’annoncer la nouvelle de ton sang, encore chaud sur le trottoir de Pétion-Ville :
« Willems Édouard a été assassiné ce matin (8 juillet), son cadavre se trouve encore dans les rues. »
MERDE… MERDE…
Aurai-je le droit un jour d’inhumer mes amis ?
Seul dans ma chambre je revis mon rêve simple
Je pense ce soir à ta sépulture, Willems.
Je pense à ta femme, à tes enfants, à tes proches et à ta famille.
Je pense à tes rêves obèses qui ne féconderont pas la terre
Tu as été assassiné comme des milliers d’autres
Les mots n’y peuvent rien contre les bourreaux
Doit-on apprendre à écrire de longues lettres aux cadavres ?Les pensées s’envolent comme les corps
Dans nos songes nous sommes peut-être tous morts
Il n’y eut pas de sursis
Un drapeau noir recouvre nos pas.
Pour Jacques Roche, c’est toi qui m’avais écrit « Jacques Roche est kidnappé ». Tu as été aussi l’un des premiers à me dire que son cadavre a été retrouvé.Veilleur d’aube, la nuit retourne sur la nuit, tu passes aujourd’hui la frontière pour donner la main aux ombres.
Maintenant, c’est toi qui habites l’autre côté où se côtoient les chemins de la vérité et de la justice.Pour Jacques Roche, c’était un certain 14 juillet 2005. Pour toi, c’est le 8 juillet. Je compte les visages disparus. Mes amis sont morts, assassinés au pays, et leur corps flotte tels des oiseaux tristes sur les trottoirs ; et moi à Montréal, je mords mon pouce en me demandant :
Quand s’arrêtera la roue de l’horreur ?
Aurai-je le droit un jour d’inhumer mes amis ?Notre grand-frère Kateb Yacine avait écrit « Poussières de juillet ».
C’est ce poème que je relis en ce mois de juillet.
Je t’offre le poème pour la route.
Peut-être que tu diras les yeux grands ouverts :
« Il y a tant de morts
Crachant la terre par la poitrine »POUSSIÈRES DE JUILLET
Le sang
Reprend racine
Oui
Nous avions tout oublié
Mais notre terre
En enfance tombée
Sa vieille ardeur se rallume
Et même fusillés
Les hommes s’arrachent la terre
Et même fusillés
Ils tirent la terre à eux
Comme une couverture
Et bientôt les vivants n’auront plus où dormir
Et sous la couverture
Aux grands trous étoilés
Il y a tant de morts
Tenant les arbres par la racine
Le cœur entre les dents
Il y a tant de morts
Crachant la terre par la poitrine
Pour si peu de poussière
Qui nous monte à la gorge
Avec ce vent de feu
N’enterrez pas l’ancêtre
Tant de fois abattu
Laissez-le renouer la trame de son massacre
Pareille au javelot tremblant
Qui le transperce
Nous ramenons à notre gorge
La longue escorte des assassins.
(Kateb Yacine)Rodney Saint-Éloi
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